Nouvelle chronique littéraire du psychanalyste Jean-Luc Vannier qui rassemble deux ouvrages portant sur les diverses manifestations de l’ésotérisme et sur l’histoire parfois oubliée des Cathares. Un lien étroit, au-delà de l’éloignement historique, unit pourtant ces deux spiritualités dont l’adhésion et la pratique requièrent une forme d’engagement de l’esprit aussi rigoureuse qu’individualisée.
Les enquêtes sociologiques confirment la tendance : une partie des Européens abandonne la pratique régulière des religions monothéistes pour adhérer à des croyances aux formes et aux contenus les plus variés. Le rejet d’un dogme intransigeant constitutif des premières profiterait ainsi aux secondes, en apparence plus souples et à la dimension humaine plus accessible. Au point d’oublier parfois que les différents éléments de l’ésotérisme émanent en général des traditions bibliques ou coraniques. D’où l’attention qu’il convient d’accorder à une récente publication des Editions « Tallandier » réalisée avec la collaboration du « Point » : « L’ésotérisme. Kabbale, franc-maçonnerie, astrologie, soufisme…les textes fondamentaux commentés ».
On découvrira avec un double intérêt, intellectuel et visuel, un ouvrage fort bien documenté, didactique comme une rentrée des classes mais plaisant par sa facture artistique. Ce mélange des genres, entre dictionnaire et livre d’art, rend accessible une connaissance des courants de pensées les plus anciens aux mouvements ésotériques les plus contemporains.
Ces commentaires éclairés et illustrés, présentés sous la forme de dossiers séparés et consultables comme des fiches, ne se contentent pas de nous retracer l’apparition des cultes à mystères et des sociétés d’initiés en Haute Egypte et dans la Grèce antique. En nous propulsant également dans le mysticisme chrétien de la Renaissance condamné puis partiellement réhabilité par l’orthodoxie vaticane, en nous expliquant l’apparition de la kabbale juive du XIIème siècle en réaction aux abstractions du judaïsme, en insistant enfin sur l’universalisme du soufisme centré sur sa promesse d’amour, les spécialistes rassemblés pour l’occasion démontrent la profondeur abyssale et rigoureuse de ces quêtes le plus souvent entreprises par des individus isolés.
L’être moderne, en recherche sur lui-même, sera probablement touché par la beauté de certains passages issus de textes anciens et souvent ignorés d’un large public. Impressions à même de lui rappeler l’authenticité d’un cheminement, bien éloignée des ésotérismes de façade et sur mesure que ce dernier se plaît à pratiquer comme une discipline sportive du week-end.
Une « ascèse personnelle particulièrement rigoureuse », mélange de gnose et de christianisme primitif, fut également source d’inspirations des « bons hommes et des bonnes femmes » dont Anne Brenon nous propose de découvrir les priorités spirituelles dans un livre passionnant, véritable immersion dans l’univers mystérieux des Cathares.
Alors que la Réforme grégorienne à l’œuvre depuis le milieu du XIème siècle tente, selon l’auteur, de « mettre en ordre le monde chrétien », cette « multitude d’hommes », adeptes d’un « ordre religieux très ritualisé », fonde son existence sur une stricte interprétation de l’évangile johannique mettant en exergue l’opposition radicale entre Dieu et le monde.
Non contents d’admettre également des femmes au sein de leur Eglise les Cathares puisent également leur force dans leur insertion au plus intime des villages, notamment par le phénomène de la « maison cathare », sorte d’établissement religieux de proximité en plein cœur de la cité et aussi accessible qu’un habitat de particulier. Autant de critères qui ne répondent évidemment pas aux normes définies par Rome. L’Eglise catholique a tôt fait de les tenir pour des hérétiques, d’où leur nom ultérieur de Cathares (probablement dérivé du « Katze » allemand, le « chat » considéré comme un animal diabolique). Le docétisme qui pousse ces lettrés et prélats à refuser la nature humaine du Christ, les amène également à réfuter sa souffrance sur la Croix, instrument d’une torture qu’il faut, selon eux, plutôt vilipender que vénérer. Cette religion articulée autour de la négation du sacrement de l’autel s’implante en profondeur au début du millénaire dans les « domaines de l’aristocratie rurale » situés en Occitanie (Narbonne, Toulouse, Albi…) et, plus curieusement, en Italie du nord où leurs églises connaissent avant la fin du XIIème siècle un développement considérable. Au point, nous dit Anne Brenon, d’interdire dans un premier temps à l’Eglise romaine « d’exercer la moindre répression ».
Cette dernière ne tardera toutefois pas à venir. Avec force procès et bûchers, la puissante machine inquisitoriale mettra presque une centaine d’année à venir à bout de ceux qui se voient en authentiques chrétiens apostoliques, victimes à leur tour d’une église persécutrice.
« L’Esotérisme. Kabbale, franc-maçonnerie, astrologie, soufisme…les textes fondamentaux commentés », Sous la Direction de Catherine Golliau, Textes choisis et commentés par Armand Abécassis, Xavier Accart, Réza Moghaddassi, Olivier Souan et Eric Vinson, Editions Tallandier, 2007, 130p., 15 euros.
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