27.6.07

Au nom du paganisme celte

A Quimper et alentour, la fin d'un cauchemar coïncide avec un coup de théâtre. La série de profanations et de dégradations de calvaires opérées entre le 8 et le 20 mai, et qui avait culminé à la mi-juin avec l'incendie criminel d'une chapelle, semble close. Mais les trois hommes arrêtés le 21 juin par la gendarmerie, mis en examen et écroués, n'ont pas le profil attendu. Agés de 21 et 22 ans, les trois suspects, dont l'identité n'a pas été révélée - on sait juste qu'ils sont originaires du Finistère sud, sans emploi pour deux d'entre eux, le troisième travaillant dans une collectivité locale - ne sont pas les "satanistes" que de nombreux indices laissaient imaginer.

Selon Anne Kayanakis, procureur de Quimper, les suspects, en reconnaissant les faits, se sont présentés comme des défenseurs des "cultes païens anciens", sans faire la moindre référence à Satan. En s'attaquant à des monuments religieux - souvent édifiés sur d'anciens sites celtiques -, ils voulaient dénoncer "la toute-puissance de la religion chrétienne qui a fait disparaître les traces des cultes païens". Ils jugent "anormal" d'entretenir avec des fonds publics des chapelles et des calvaires alors que les mégalithes druidiques et certains sites mythiques ne font pas l'objet des mêmes soins.

La singularité de leur motivation s'inscrit dans un contexte culturel particulier. Très attachée à ses racines et travaillée par un imaginaire peuplé de fées, d'elfes et autres figures légendaires, la Bretagne constitue un terreau favorable pour l'ésotérisme et l'occultisme. Cela n'enlève rien à la gravité des faits passibles de vingt ans de réclusion. Suivre à la trace la chevauchée, si peu héroïque, de ces "cavaliers de l'apocalypse" relève du chemin de croix. Ce sont en effet ces monuments, balisant presque chaque carrefour de la Bretagne, qui ont été leurs cibles, dans un périmètre de quelques dizaines de kilomètres du Finistère sud.

La première profanation a été commise à Gouesnac'h, dans la nuit du 7 au 8 mai à la chapelle de Saint-Cadou. Dans la nuit du 11 au 12, c'est à Langolen qu'un calvaire du XIVe siècle a été mis à bas. Cinq nuits plus tard, la même rage destructrice frappait les calvaires de la chapelle du Drennec, à Clohars-Fouesnant, de la chapelle Saint-Thomas, à Pleuven, et de la chapelle du Perguet, à Bénodet.

Dans la nuit du 17 au 18, les profanateurs ont franchi l'Odet, qui marque la "frontière" du pays bigouden et du pays fouesnantais, pour barbouiller la fontaine de la chapelle Notre-Dame de la Clarté, à Combrit, puis la fontaine de la chapelle Sainte-Côme, à Plomeur. Enfin, le 20 mai, c'est à Ergué-Gabéric, près de Quimper, que la chapelle Ker Devot a été l'objet de dégradations.

Chaque fois, l'inscription "TABM" était tracée à la peinture noire, souvent accompagnée d'une croix renversée, signature attribuée aux adorateurs de Satan. Et le mode opératoire, celui d'un commando. Des cordes, tirées par un véhicule, ont dû être utilisées. Pierre Floc'h, sculpteur sur pierre, qui restaure régulièrement des calvaires après des dégradations, est formel : "Sur les cinq lieux où l'on m'a demandé de faire des expertises, une tension a été exercée à partir du haut pour faire basculer les fûts qui parfois ont été cassés en dizaines de morceaux. Mises à part les croix de mission du XIXe siècle, la plupart des monuments datent du XVIe siècle. On a recensé plus de 3 000 calvaires et 350 chapelles, rien que dans le Finistère."

Jean Loaec, maire de Pleuven, précise : "Les calvaires, toujours tournés vers l'Occident, commémorent la crucifixion et comportent au moins trois personnages tandis que les croix ne représentent que le Christ crucifié. Elles marquent parfois les anciennes limites d'une communauté monastique."

Après le 20 mai, les raids nocturnes ont cessé. A la veille de la saison estivale, toute la région respirait mieux. Scandalisés par ces atteintes à un patrimoine historique autant que religieux, certains esprits s'étaient échauffés. Ici ou là, des tours de garde étaient envisagés. "Au-delà du coût pour les contribuables, nous sommes choqués de voir que ces actes odieux ne provoquent aucune réaction médiatique comme quand des lieux de culte ou des cimetières juifs ou musulmans sont vandalisés", s'indigne un commerçant de Bénodet, en dénonçant "une tolérance à l'égard de la christianophobie".

Dans la nuit du 15 au 16 juin, les hostilités ont repris, un cran au-dessus : la chapelle de Loqueffret, au coeur des monts d'Arrée, soit à plus de 60 km des premiers lieux vandalisés, a été incendiée, toujours avec la même signature, tracée sur un pilier du porche, "TABM".

A l'écart du bourg de Loqueffret, il faut parcourir plus d'un kilomètre à travers bois pour découvrir la chapelle de la Croix aux dimensions d'une église et la douce harmonie des édifices du XVIe siècle. Cernée de chênes et de châtaigniers, la chapelle est peu fréquentée mais les villageois s'y rendent en foule, en septembre, pour le pardon. De ce monument historique, datant de 1522, il ne reste que des murs noircis, des moignons de poutres calcinées et des amas d'ardoises brisées. "La charpente et des statues polychromes du XVe siècle ont été détruites. Alors qu'un chantier de rénovation de 300 000 euros devait commencer deux jours plus tard, tout est à refaire, se lamente le maire, Jean-Claude Albert, soulagé que les incendiaires soient "hors d'état de nuire".

Le mercredi 20 mai, une lettre de revendication adressée à la rédaction du quotidien Le Télégramme aurait pu lever une partie du mystère. "True Armorik Black Metal" s'y présentait comme un groupuscule extrémiste anti-ecclésiastique qui prétendait "laver la terre d'Armorique des intrus qui y ont pris place sans le moindre respect pour nos racines celtiques". Jusque-là, les enquêteurs qui s'étaient orientés vers les milieux sataniques attribuaient le sigle "TABM" à True Aryan Black Metal, une frange extrémiste de la mouvance musicale Black Metal qui revendique une filiation avec le diable. Figure emblématique de cette tendance dure, le chanteur américain Marilyn Manson, dont les fans se comptent par millions, devrait donner un concert, cet été, dans les Côtes-d'Armor...

En annonçant qu'ils feraient "tomber les icônes symbolisant la faiblesse d'esprit", les signataires menaçaient : "Nous allons frapper encore et encore." Amateurs de Black Metal, ils ne se référaient pourtant pas plus aux Aryens qu'au maître des ténèbres.

Robert BELLERET


24.6.07

Le soufisme et la France

L'époque médiévale

L'histoire s'écrit parfois davantage en filigranes qu'en traits pleins. C'est le cas lorsqu'il s'agit des rapports entre des voies spirituelles ou ésotériques issues de religions différentes. Si l'influence de la civilisation islamique sur l'Europe est avérée dans les domaines des sciences et de la philosophie, nous sommes par contre réduits à des « conjectures » en ce qui concerne la discipline du soufisme (tasawwuf) [1].

A l'époque médiévale, les docteurs chrétiens d'Europe focalisent clairement leur intérêt pour les auteurs musulmans sur la pensée aristotélicienne. De Ghazâlî (« Algazel », m. 1111), ils traduisent les textes philosophiques mais non les écrits mystiques, pourtant bien diffusés en terre d'islam, et ils prennent d'Ibn Sab'în le logicien et le philosophe, non le métaphysicien extatique de « l'Unicité absolue ».

Que le maître andalou Ibn 'Arabî (m. 1240) n'ait pas été connu en Europe avant l'époque moderne – son influence sur Dante, à ce jour, reste plus qu'hypothétique – n'est guère étonnant pour deux raisons au moins : en pays musulman même, son œuvre a circulé longtemps dans des milieux restreints, et les latins n'avaient pas les clés pour déchiffrer son langage le plus souvent hermétique.

Mais que les manuels de soufisme rédigés aux Xe et XIe siècles n'aient reçu aucun écho en Europe ne cesse de surprendre. Le Catalan Ramon Lulle (m. 1315) a certainement eu accès à la littérature mystique de l'islam et côtoyé des milieux soufis, à Majorque et au Maghreb, mais sans réellement s'en pénétrer [2]. Quoi qu'il en soit, il ne relève pas du monde français qui nous retient ici.

La mystique juive médiévale, en revanche, témoigne d'une imprégnation profonde – et avouée – par le tasawwuf, au Moyen Orient, en Espagne musulmane, et jusqu'en Catalogne et en Provence. L'influence supputée du soufisme sur Sainte Thérèse d'Avila et Saint Jean de la Croix aurait cheminé via les mystiques juifs espagnols. Par ailleurs, les sciences occultes telles que l'alchimie, l'astrologie ou l'arithmologie doivent beaucoup au monde de l'islam, mais elles ne sauraient être identifiées à la discipline du tasawwuf.

Dans les milieux spiritualistes contemporains, d'obédience musulmane ou chrétienne, on affirme que les voies soufies, et les groupes ésotériques d'Orient en général, auraient alimenté sur le plan initiatique des organisations correspondantes d'Europe. Si certains historiens conviennent que l'art héraldique de la chevalerie européenne a une dette à l'égard du monde musulman [3], il faut être plus prudent quant à l'origine islamique de la chevalerie elle-même.

La futuwwa, qui jouait au Moyen Orient le rôle à la fois d'une chevalerie spirituelle et d'une initiation aux métiers, a-t-elle eu une part quelconque dans la formation de la chevalerie européenne ? Henry Corbin note d'abord que la futuwwa est œcuménique en soi car son fondateur symbolique en serait Abraham, père des trois monothéismes. Il souligne maintes fois les analogies et les concomitances existant entre cette futuwwa et la chevalerie européenne telle que celle du Temple [4].

Plus rarement, il évoque une influence directe de l'ésotérisme islamique – soufi ou ismaélien – sur les Templiers [5], mais il ne fournit aucun élément historique objectif. La légende du Graal, il est vrai, telle qu'elle apparaît dans le Parzival de Wolfram von Eschenbach, écrit à l'époque de la quatrième croisade, véhicule des données provenant de plusieurs traditions ésotériques orientales [6]. La version 'française' de la légende par Chrétien de Troyes, un peu antérieure à celle de Wolfram, en est, elle, cependant, totalement dépourvue.

René Guénon lui aussi affirme que les Templiers auraient été en contact effectif avec les milieux initiatiques du Proche Orient et que, après leur élimination par le roi Philippe le Bel (1314), les initiés chrétiens se seraient réorganisés en accord avec les initiés musulmans [7]. Il n'apporte, lui non plus, aucun justificatif concret. Certes, les Templiers se sont montrés plus tolérants que les autres Francs. Ainsi, un chroniqueur musulman témoigne que des Templiers sont intervenus à plusieurs reprises, à Jérusalem, pour chasser un Franc qui voulait l'empêcher de prier [8].

On peut même admettre que l'Ordre, de militaire, soit devenu de plus en plus mystique, mais cela ne signifie pas qu'il ait été perméable à l'islam ou à son ésotérisme. Les sources arabes s'en seraient fait l'écho et, au demeurant, elles montrent que les soufis considéraient tous les Francs comme des envahisseurs et des ennemis, et qu'ils les combattaient. Les chiites ismaéliens pratiquaient entre eux la discipline de l'arcane, et on les voit mal initier des guerriers francs. Des échanges en matière de spiritualité ont sans doute eu lieu, mais les visées politiques devaient prédominer.

Guénon va plus loin concernant les Rose Croix – dont les modernes Rosicruciens se prétendent les héritiers – puisqu'il y aurait eu, selon lui, une sorte d'osmose initiatique entre ceux-ci et les soufis [9]. Les premiers se seraient retirés en « Orient » au XVIIe siècle, lorsque toute possibilité de véritable initiation aurait disparu en Occident [10]. Ailleurs, il affirme que les Rose Croix, qu'il se voit fondé à appeler « ''soufis'' européens », établissaient un contact permanent avec les soufis [11].

Ces données relèvent plus de la métahistoire que de la discipline historique critique, mais c'est, pour notre domaine, une dimension que l'on ne peut écarter. L'intérêt de ces assertions provient aussi du fait qu'elles proviennent de René Guénon. Des affinités entre Saint François d'Assise et le soufisme, concernant notamment la doctrine de la « pauvreté spirituelle », ont été notées, d'autant plus que François s'est rendu en Egypte où il a pu échanger avec le sultan et des oulémas, mais il est italien… Des Franciscains français contemporains ont cependant écrit sur ce sujet.

Une des seules traces tangibles de la présence du soufisme en France à l'époque médiévale provient d'un proche du roi Saint Louis, son chroniqueur et ami Joinville (m. 1317). Celui-ci cite le Dominicain Yves Le Breton, arabisant, qui avait rencontré à Acre au XIIIe siècle une femme tenant le même langage sur l'amour divin que Râbi'a 'Adawiyya (m. 801), la sainte musulmane la plus renommée en terre d'islam.

Cette sainte irakienne n'est pas identifiée par Joinville, mais sa figure mythifiée va nourrir le débat théologique sur l'amour de Dieu qui agite la France… au XVIIe siècle, et elle suscite l'admiration des partisans du Pur Amour : il faut aimer Dieu ni par désir de Son paradis ni par crainte de Son enfer [12]. Pour autant, cette légende transmuée de Râbi'a ne prouve en rien une réception positive du soufisme en France.

D'évidence, la présence franque au Proche-Orient a permis des contacts entre chrétiens et musulmans, au gré, notamment, des alliances entre les princes des deux camps. Dans le cadre général de l'affrontement entre croisés et musulmans, cependant, le commerce des esprits ne pouvait s'effectuer que de manière discrète et orale, ce qui explique la trace infime qu'il a laissée.

La guerre elle-même a été une occasion de connaissance mutuelle, et parfois de ''transfert'' religieux : un des Francs qui attaquaient Damiette en 1249 (avec St Louis : septième croisade) serait entré en islam après avoir tué un saint musulman qui lui aurait miraculeusement répondu après sa mort [13]. Pour autant, à lire les sources arabes, de tels cas sont très exceptionnels.

L'époque moderne

Hormis quelques relations de voyageurs français ayant décrit, entre les XVIe et XVIIIe siècles, avec force partialité, les milieux des « derviches » en Orient (de Nicolay, Chardin…), ou encore la traduction française des Mille et Une Nuits par Galland, à la fin du XVIIIe siècle, où figurent les exploits des Kalandars, il faut attendre le XIXe siècle pour que le public français ait accès à une connaissance plus objective du soufisme. Le Voyage en Orient de Gérard de Nerval (1843) représente à cet égard une rupture décisive, par le témoignage empathique qu'il livre, voire la profonde fascination qu'exercent sur l'auteur les derviches du Caire et d'Istanbul.

Le terme occidental « soufisme » apparaît, sous la forme latine de Ssufismus, dans un ouvrage publié à Berlin en 1821. La première moitié du XIXe siècle voit se développer l'orientalisme académique, dans lequel la France occupe une place prépondérante. Le soufisme suscite dès lors un nombre croissant d'études et de traductions, centrées d'abord sur le monde persan.

D'évidence, cette érudition un peu sèche n'est pas animée par une quête intérieure, comme c'était le cas chez les auteurs médiévaux [14], et de plus elle charrie implicitement l'idéologie de la suprématie européenne ; elle fournit pourtant une matière objective qui va nourrir les générations postérieures. Parallèlement, des officiers français des « affaires indigènes », motivés, certes, par le contrôle des populations locales, vont rédiger des rapports et des ouvrages très documentés sur les confréries maghrébines.

Au XXe siècle, l'orientalisme français joue un rôle de plus en plus déterminant dans la connaissance ''gustative'' du soufisme, du fait sans doute que ses plus éminents spécialistes sont eux-mêmes engagés dans une quête spirituelle. Dans leur démarche respective de chrétiens, Louis Massignon et Henry Corbin se sont alimentés à la mystique musulmane et, à leur tour, ont alimenté un public se situant à la limite entre académisme et recherche intérieure.

Si leur enjeu personnel affleure souvent dans leur travail et s'il infléchit parfois leur objectivité, leur riche personnalité a contribué à diffuser la culture soufie en France. Les ''soufis'' contemporains reconnaissent également une dette à l'égard de religieux chrétiens qui ont présenté des pans majeurs du patrimoine soufi : Louis Gardet, Laugier de Beaurecueil, Paul Nwyia… Certains chercheurs ont conjoint domaine d'étude et orientation spirituelle en pratiquant l'islam soufi, tel Eva de Vitray-Meyerovitch (m. 1998) et Michel Chodkiewicz.

La première présence effective en France d'un soufi ou d'un groupe soufi remonte à nul autre que l'émir Abd El-Kader, qui a été retenu dans notre pays durant cinq années (1847-1852). Tous les Français qui l'ont alors approché ont été séduits par son charisme, et des documents inédits nous montrent des sœurs chrétiennes désirant le suivre jusque dans son exil spirituel en Orient.

Le paradoxe du colonialisme français, à la fin du XIXe siècle, est qu'il permet à quelques nationaux issus de la métropole d'échapper à la civilisation d'ores et déjà désenchantée de l'Occident, et de se ressourcer dans le « désert », ou en « Orient », comme on voudra. Ces premiers soufis français – ou de culture française – sont souvent des artistes-peintres (Etienne Dinet, Yvan Agueli) ou des écrivains (Isabelle Eberhardt). Ils souscrivent au ''mythe'' de l'Orient spirituel et l'incarnent dans leur vie et leur œuvre. Ils se rattachent à des confréries régulières, et ceux qui vivent en Algérie sont rejetés par des colons français.

L'importance d'Agueli réside dans le fait qu'il a planté le premier arbre initiatique en France et qu'il a affilié Guénon à la Shâdhiliyya, en 1912, à Paris même. Le parcours – bref, puisqu'elle est morte à vingt-sept ans – d'Isabelle Eberhardt (m. 1904) est plus fantasque. Ses origines sont troubles, puisque certains attribuent sa paternité à Arthur Rimbaud. Devenue française en épousant un soufi algérien, elle pratique dûment le soufisme dans la confrérie Rahmâniyya [15].

Même lorsqu'elle ne possède pas cette texture légendaire, la vie de ces pionniers devient par la suite un roman. Ainsi d'Aurélie Picard (m. 1933), héroïne de Djebel Amour (Frison Roche), Lorraine qui épouse en 1872 un cheikh tijâni du Sud algérien et développe la grande zâwiya après la mort de celui-ci. Autre figure féminine atypique de cette période, la comtesse Valentine de Saint Point (m. 1953), arrière petite-nièce de Lamartine qui, après avoir mené une vie excentrique en Occident, entre en islam et s'établit au Caire, où elle est proche de Guénon.

René Guénon est le principal artisan de la pénétration du soufisme en France au XXe siècle. Sa pratique islamique et son appartenance soufie ont pourtant été marquées du sceau de la discrétion, mais son œuvre ainsi que la correspondance qu'il a entretenue avec beaucoup de ''chercheurs de vérité'', a déterminé l'entrée dans la Voie de nombreux Français ; ceux-ci seront souvent affiliés à la même voie-mère que Guénon, la Shâdhiliyya, qui a généralement incarné un soufisme sobre et lettré. Son œuvre formule à l'intention du public européen la doctrine de la « Tradition primordiale », d'où émanent toutes les religions historiques, et la dégénérescence de la modernité occidentale.

Le « cheikh 'Abd al-Wâhid Yahia », tel qu'il est connu en milieu musulman, établi au Caire en 1930 et décédé en 1951, continue d'exercer une influence singulière en Occident et dans quelques cercles en terre d'islam. De Guénon est issu le courant ''traditionnaliste'' du soufisme occidental, dont la figure majeure est Frithjof Schuon (m. 1998). Artiste et poète, celui-ci rédige une œuvre doctrinale puissante ; depuis la Suisse où il réside jusqu'en 1981, date de son installation aux USA, il touche surtout des intellectuels occidentaux. Son représentant initial à Paris, le Roumain Michel Vâlsan (m. 1974), lui reproche en 1950 de s'affranchir de plus en plus de la norme islamique et de verser dans le syncrétisme.

A l'instigation de Guénon, Vâlsan, éditeur des Editions traditionnelles à Paris, fonde sa propre voie, centrée sur l'enseignement d'Ibn 'Arabî. Plusieurs de ses disciples français, universitaires ou autodidactes, proposent au public des études et des traductions de textes majeurs du patrimoine soufi.

Eric "Younès" Geoffroy